Académie FOVE

Du grain à la bouteille : le café dans les spiritueux

Rhum, vodka, liqueur ou gin — aujourd’hui, le café s’infuse jusque dans les alcools.
Mais cette rencontre n’a rien d’un hasard. Derrière chaque gorgée se cache une histoire d’origines, de cultures, de passion et d’expérimentation.

Du matin au digestif : une histoire de contrastes

Le café et l’alcool sont deux rituels profondément ancrés dans nos vies.
L’un ouvre la journée, l’autre la referme. L’un éveille, l’autre apaise. Pourtant, ces deux mondes n’ont pas tardé à se croiser.

Dès le XIXe siècle, on commence à infuser du café dans des spiritueux pour créer des liqueurs gourmandes, souvent très sucrées. C’est le début d’une longue amitié.

Les années 1950 : l’âge d’or des liqueurs de café

C’est dans l’après-guerre que les liqueurs de café quittent l’ombre pour briller à l’international. Deux noms dominent la scène : Kahlúa et Tia Maria.

Née en 1936 à Veracruz, Kahlúa assemble café arabica mexicain, vanille et rhum. D’abord confidentielle, elle profite dans les années 1950 de l’appétit nord-américain pour les saveurs sucrées et “exotiques”. Son succès est tel qu’elle devient rapidement une référence mondiale.

Face à elle, la Jamaïque propose Tia Maria, une liqueur portée par la légende : une aristocrate espagnole réfugiée sur l’île au XVIIe siècle aurait transmis la recette à sa servante, Maria. Derrière le mythe, un produit qui séduit par la finesse du café Blue Mountain et le caractère du rhum local.

Ces deux liqueurs incarnent l’esprit des fifties : une soif de nouveauté, d’ailleurs et de cocktails glamour. Elles donnent naissance à des classiques comme le Black Russian (né à Bruxelles en 1949) ou le White Russian, plus tard immortalisé par The Big Lebowski.

Le renouveau : quand le café retrouve du style

Après cet âge d’or, les liqueurs de café connaissent un passage à vide. Elles restent populaires, mais souvent cantonnées à des recettes très sucrées, presque rétro.
Il faudra attendre la scène cocktail des années 1980 et l’essor des microdistilleries pour que le café retrouve une nouvelle aura dans les spiritueux.

À Londres, dans les années 1980, un bartender du nom de Dick Bradsell invente l’Espresso Martini. Sa recette — vodka, liqueur de café, espresso fraîchement tiré — devient rapidement culte. Plus chic qu’un digestif classique, plus moderne qu’un cocktail tiki, il redonne au café un rôle central derrière le bar.

Puis viennent les années 2000. Les microdistilleries se multiplient, tandis que la troisième vague du café (third wave coffee) s’impose avec sa culture du grain de spécialité, de la traçabilité et des méthodes d’extraction précises. Les distillateurs et mixologues veulent aller au-delà du sucre : ils cherchent à traduire la richesse du café, ses amertumes nobles, ses notes torréfiées, sa profondeur aromatique. On redécouvre les techniques :

  • Infusion à froid pour la finesse,

  • Macération pour la rondeur,

  • Distillation pour l’innovation.

Le café cesse alors d’être une simple “saveur exotique” ou un ingrédient gadget. Il devient un produit noble, travaillé avec le même respect que le malt dans le whisky ou le raisin dans le vin.

Un accord qui traverse le temps

Le café et les spiritueux partagent une même intensité : richesse aromatique, profondeur, chaleur. L’un prolonge l’autre, et ensemble ils créent un équilibre unique entre énergie et détente.
C’est sans doute pour cela que cette alliance traverse les époques — un accord fait pour durer, aussi intemporel qu’un bon café ou qu’un verre partagé.